Nature. Il tente de réconcilier l'homme et le loup
Depuis dix ans, Jean-Marc Moriceau fouille l'histoire de l'homme et du loup. Une espèce protégée en France depuis 1979.Cet historien de l'université de Caen a réuni la semaine dernière les « pro » et les « anti », dans le parc du Mercantour, près de Nice. Avec l'objectif de trouver un terrain d'entente, alors que la colère contre l'animal se fait de plus en plus entendre, à mesure qu'il gagne du terrain.
« Si j'avais voulu être tranquille, j'aurais organisé ces premiers États généraux du loup en terrain neutre, en Normandie. » Non ! Jean-Marc Moriceau préfère rencontrer « la bête » sur son terrain, au milieu de ses supporters, de ses détracteurs et de ses observateurs : bergers, éleveurs, chasseurs, écologistes, scientifiques et élus... Au coeur du parc du Mercantour, là où les attaques de troupeaux sont les plus fréquentes, cet historien caennais faisait, la semaine dernière, le bilan de dix ans de travaux. « Sans langue de bois, ni rendez-vous secret. »
De secret, le loup n'en a aucun pour Jean-Marc Moriceau. Même si contrairement à la Bretagne, la Basse-Normandie n'a jamais été une terre à loup, ce spécialiste de l'histoire rurale a souvent croisé canis lupus. Quand il rédige sa thèse sur les fermiers d'Ile-de-France du XVe au XVIIIe siècles, le loup rôde. Quand il anime la revue Histoire des sociétés rurales, l'animal est encore là. Puis il se penche sur l'histoire des campagnes et de l'élevage. Encore le loup ! Un carnage ! « Veaux, chevaux, ânes. Il s'attaque aux animaux en plaine et met à mal toute l'économie. »
Quittant un temps les archives, Jean-Marc Moriceau se rend compte qu'entre 1992 et 2002, le loup est revenu par l'Italie. D'un ou deux départements, il en fréquente alors régulièrement sept ou huit. Chassant « les racontars et les études partiales », l'historien se lance dans un travail approfondi, du Moyen Âge à nos jours.
Un premier enseignement ne tarde pas à émerger : le loup a beau être craintif, il n'a pas toujours peur de l'homme. Avec des généalogistes et des archivistes, Jean-Marc Moriceau dresse un premier inventaire : 3 000 attaques recensées du Moyen Âge à 1914, « dont une majorité entre 1580 et 1880 ». Le profil des victimes ? Souvent de petits paysans, de 6 à 14 ans, qui gardent les troupeaux dans des campagnes isolées, aux abords des forêts.
L'historien des campagnes poursuit le recensement macabre pour arriver à 7 750 morts entre 1382 et 1918. Plus de 1 700 communes françaises sont concernées « dont 350 dans l'Ouest ». Jean-Marc Moriceau n'exclut pas d'arriver à 10 000 ou 15 000 victimes d'ici à quelques années. Les contes et légendes ne reposent donc pas que sur l'imaginaire de leurs auteurs.
À l'occasion d'une incursion en littérature, Jean-Marc Moriceau ne se demande plus pourquoi La Fontaine et Perrault ont beaucoup écrit sur le loup entre 1690 et 1700. « Pendant cette décennie, les victimes se comptent par centaines... »
Même si des loups enragés attaquent encore l'homme à la fin du XIXe siècle, la destruction massive de l'animal, « considéré comme ennemi du progrès », accompagne la mutation du pays et des campagnes. Les derniers loups français sont tués dans les années 1920-1930. Les soixante années qui suivent vont diluer les peurs ancestrales et, petit à petit, « faire du loup un symbole de la biodiversité ».
Les études de Jean-Marc Moriceau font le « buzz ». Il y a ceux qui découvrent, ceux qui nient. Sur Internet, les forums s'affolent. Décrié ici et là, l'historien caennais, au-dessus de la mêlée, est malgré tout écouté.
Parrainés par le ministère de l'Agriculture et par les chasseurs, mais pas par le ministère de l'Écologie, les États généraux ont regardé le loup dans le blanc des yeux. « Sans angélisme, ni diabolisation », souligne Jean-Marc Moriceau avec l'objectif modeste de « réduire le nombre d'extrémistes des deux côtés et aider au discernement ».
Trois cents loups fréquentent désormais une vingtaine de départements au sud d'une ligne allant du Gers à l'Aube, soit toute la partie sud et est de la France. Paris n'est plus qu'à 180 km... Alors que l'année 2012 a vu plus de 6 000 animaux-victimes indemnisés, le consensus s'impose. Car si on reste dans la demi-mesure et le conflit permanent, « le loup aura reconquis toute la France d'ici à une petite cinquantaine d'années. » Sa population croît de 19 % par an.
Faute de pouvoir s'inspirer de l'Italie et de l'Espagne, où la gestion du loup n'a rien d'exemplaire, Jean-Marc Moriceau espère qu'une solution française émergera : « On pourrait imaginer une régulation des loups variable selon les régions, leur densité et les activités agricoles. »
Stress, anxiété, habitudes de travail qui changent, investissements indispensables et même violence. Le 10 octobre, un berger a écopé de quatre mois de prison avec sursis pour violence envers un garde du parc du Mercantour. « Socialement, le loup commence à faire des ravages, s'alarme Jean-Marc Moriceau. Il faut faire vite. »